Depuis le dimanche 27 octobre 2024 à minuit, le pays est agité par la ferveur de la compagne électorale des législatives anticipées du 17 novembre 2024. Parmi les 41 listes de candidats en lice, figure celle du parti des Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité (PASTEF), dont la tête de liste, Ousmane Sonko, a fait le choix de consacrer sa campagne à la vulgarisation de la «Vision Sénégal 2050 - Agenda national de Transformation», le tout nouveau référentiel des politiques publiques de développement, présenté aux Sénégalais le lundi 14 octobre 2024, avec comme ambition, de faire du Sénégal, dans les 25 ans à venir, un pays souverain, juste et prospère.
Dans ses discours prononcés devant les populations locales des huit (8) pôles territoriaux de développement, un concept, les « Agropoles », revient souvent tel un leitmotiv.
Pourtant, Ousmane Sonko n’a pas attendu ce contexte et d’être le Premier Ministre du Sénégal, pour porter au pinacle les Agropoles, l’un des rares projets de développement de l’ancien régime, dont il a reconnu publiquement la pertinence. C’était en pleine campagne électorale lors des élections locales de 2022. Devant les populations de la commune d’Adéane à Ziguinchor, il s’était exprimé en ces termes :
« s’il y a un seul projet du régime de Macky Sall dont je suis convaincu de l’utilité, c’est bien celui des Agropoles. C’est ce genre de projets dont notre pays a besoin. Mais en lieu et place, Macky Sall a choisi de mettre en œuvre des investissements non prioritaires, tels que le train express régional (TER) ».
En meeting-causerie à Ziguinchor, le 1er novembre 2024, il a exactement réitéré ses propos sur les Agropoles.
Ses griefs contre Macky Sall sont plus que fondés, dans la mesure où, aucune infrastructure des Agropoles n’est sortie de terre durant les deux mandats de Macky Sall. Alors que la mise en place d’Agropoles compétitives et intégrées, était une ambition phare, clairement exprimée dans l’ex-Plan Sénégal Emergeant (PSE), dans lequel elles étaient identifiées comme des leviers fondamentaux de transformation structurelle de l’économie. De ce fait, la paternité de la réalisation future des Agropoles devra logiquement être attribuée au régime du Président Diomaye Faye.
Si Ousmane Sonko est aussi séduit par les Agropoles, c’est que ce projet traduit à tout point de vue son modèle de développement endogène et souverainiste, fondé sur la substitution aux importations des produits agroalimentaires. Un modèle qu’il a théorisé dans son livre-vision « Solutions – pour un Sénégal nouveau », principalement dans son chapitre IV, intitulé « produire par et pour nous et viser le monde ».
En homme politique averti et visionnaire, qui appréhende tous les bénéfices et avantages que le pays peut en tirer, Ousmane Sonko a parfaitement raison de miser sur les Agropoles, en portant politiquement leur matérialisation. Et pour cause, les Agropoles sont des projets structurants et systémiques à la croisée de plusieurs secteurs essentiels de l’économie sénégalaise (industrie, agriculture, élevage, pêche, commerce, environnement, décentralisation et développement local, etc.).
Cette dimension multisectorielle reflète le poids potentiel de leur contribution à l’atteinte des objectifs clés de développement du Sénégal, que sont la transformation structurelle de l’économie par le reprofilage de la structure de la croissance (augmentation de la part du secteur primaire et de l’industrie dans la croissance), la souveraineté et la sécurité alimentaire, la réduction du déficit de la balance commerciale par l’augmentation des exportations et la substitution des importations, l’équité territoriale par le redéploiement industriel, et la création d’emplois décents pour les jeunes et les femmes.
Le concept « Agropole » est promu par la Banque africaine de Développement (BAD) qui, après l’avoir développé dans le cadre de sa stratégie « Nourrir l’Afrique », a cherché à le matérialiser par la mise en place de « Zones Spéciales de Transformation Agro-industrielle (ZSTA) » dans les pays membres régionaux.
Les Agropoles du Sénégal, fruits d’un appui conjoint de la BAD et d’autres partenaires techniques et financiers (BID, UE, ENABEL, BOAD, etc.) de l’Etat du Sénégal, sont des projets territoriaux conçus dans le but de promouvoir l’agro-industrie, par une pleine exploitation des filières et des chaînes de valeur agrosylvopastorales et halieutiques aux potentiels de développement élevés.
Pôles modernes de développement agro-industriel, les Agropoles sont essentiellement constituées d’un réseau plus de 50 parcs agro-industriels intégrés à mettre en place sur tout le territoire national, munis de toutes les commodités, et qui ont pour vocation de faciliter l’installation d’industries agro-industrielles à qui seront offertes les conditions optimales de développement et de rentabilité de leurs activités de transformation agroalimentaire.
Ces parcs agro-industriels sont constitués de différents types aux vocations variables. Il s’agit de :
- parcs agro-industriels centraux destinés à accueillir les industries spécialisées dans la transformation jusqu’aux produits finis, leur packaging et la mise en marché (marché local, régional et international);
- parcs agro-industriels régionaux visant à abriter les industries spécialisées dans le conditionnement secondaire et la transformation primaire ;
- plateformes départementales spécialisées dans l’agrégation, le nettoyage, le tri, et le conditionnement primaire de la matière première à fournir aux industries des parcs agro-industriels centraux et régionaux.
Ces installations permettront aux entreprises agro-industrielles de se regrouper pour réaliser des économies d'échelles et bénéficier d’externalités positives en mutualisant des infrastructures et des services : routes, électricité, communication, stockage, emballage, utilisation des sous-produits, traitement des effluents, logistique et transport, installations de laboratoire, etc. Ces infrastructures et services de soutien offerts aux entreprises et PME/PMI agro-industrielles par le biais des Agropoles, permettront ainsi de renforcer et de soutenir les chaînes de valeur de l’agro-industrie et de promouvoir l'agriculture commerciale, la valeur ajoutée et le marketing chez les entrepreneurs locaux et régionaux
Structurées en mode zonal, les cinq Agropoles du Sénégal couvrent les pôles territoriaux définis dans la « Vision Sénégal 2050 », dont elles constituent la composante agroalimentaire, qui est un des quatre moteurs de croissance desdits pôles. Excepté le pôle de Dakar, qui est déjà le siège de l’agro-industrie.
L’Agropole Sud appuie la valorisation des filières du pôle Kaasamas (anacarde, mangue, maïs, banane, produits forestiers non-ligneux), l’Agropole Centre les filières des pôles Siin-Saloum et Bawol (arachide, mil, maïs, sorgho, sel), l’Agropole Nord les filières des pôles Walo et Ferlo (riz, oignon, tomate, horticulture d’exportation, bétail-viande, lait, cuirs et peaux, pêche & aquaculture, sylviculture, etc.), l’Agropole Ouest les filières du pôle Kayoor (légumes, fruits, viande, Lait, œufs, etc.), et l’Agropole Est les filières du pôle Bundu (banane, maïs, fonio, miel, karité, fruits de baobab, coton, horticulture, etc.).
En dopant la demande en matière première agricole par les industries de transformation installées dans ses parcs agro-industriels, les Agropoles vont indirectement booster la productivité des filières agrosylvopastorales des pôle territoriaux de développement. L’accès à une matière première agricole suffisante et de qualité, est en effet indispensable à la viabilité et au fonctionnement en plein régime des unités de transformation agro-industrielle.
C’est la raison pour laquelle, les Agropoles intègrent une importante composante « productivité agricole » mise en œuvre pour augmenter de 20 à 40% la productivité des filières agricoles des pôles territoriaux. Elle est exécutée en partenariat avec différentes agences d’exécution, telles que l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA), la Société d’Aménagement des Eaux du Delta (SAED), l’Agence Nationale de l’Aquaculture (ANA), etc.
Cette composante appuie les exploitations agricoles familiales au travers le renforcement des capacités des organisations des producteurs (OP) par la facilitation de l’accès au matériel végétal performant pour l’augmentation durable de la productivité et des productions agricoles des principales filières des pôles territoriaux (plants de manguiers et d’anacardiers greffés, semences certifiées de maïs, d’arachides et de céréales, notamment des variétés adaptées aux changements climatiques), à l’engrais de qualité, à l’urée, aux produits phytosanitaires, etc.
Afin de les préparer à s’implanter dans les parcs agro-industriels et à être compétitives, les Agropoles incitent les toutes petites entreprises (TPE) et les PME/PMI agroalimentaires opérant dans les pôles territoriaux, à optimiser leurs procédés de transformation, à développer sans cesse de nouveaux produits, et à travailler à remplir les conditions d’accès de leurs produits au marché (obtention des autorisations FRA, codes-barres, etc.).
Ce faisant, la mise à niveau et le renforcement des capacités des TPE et des PME/PMI de l’agro-industrie, sont des parties intégrantes des Agropoles. Cette volonté justifie l’implication dans leur mise en œuvre, des structures de l’Etat spécialisées dans ces domaines, que sont l’Institut de Technologie Alimentaire (ITA), le Bureau de Mise à Niveau (BMN), l’Agence de Développement et d’Encadrement des Petites et Moyennes Entreprises (ADEPME), l’Agence Sénégalaise de Normalisation (ASN), l’Agence Sénégalaise de Promotion des Exportations (ASEPEX), etc.
Les Agropoles constituent un important vivier d’emplois. Le nombre d’emplois directs et indirects à générer est estimé à 387 000 emplois. Afin de préparer les jeunes et les femmes des pôles territoriaux de développement à accéder à ces emplois, le projet des Agropoles appuie la structuration de référentiels de métiers sur l’agro-industrie, l’incubation de jeunes entrepreneurs, la formation professionnelle à l’entrepreneuriat agricole et agro-industriel, entre autres initiatives.
La compétitivité et la viabilité des entreprises agro-industrielles des Agropoles, nécessitent la mise en œuvre d’un paquet de réformes portant sur l’adaptation du cadre réglementaire relatif à la régulation des produits agricoles et leurs dérivés et la promotion des mesures d’incitation à l’investissement et d’accompagnement. Certaines de ces réformes spécifiques devront viser : (i) les exportations des matières premières agricoles, notamment le protocole avec la Chine sur l’arachide et la mainmise des indiens sur les noix brutes d’anacarde ; (ii) les incitations fiscales et douanières nécessaires à accorder aux entreprises des Agropoles ; (iii) la question de l’aflatoxine des produits comme l’arachide ; (iv) la régulation de l’importation d’huile ; (v) la facilitation de l’accès au financement des entreprises agro-industrielles ; (vi) la prise en charge de la filière sel ; (vii) la formalisation de la contractualisation entre producteurs agricoles et agro-industriels ; et (viii) la réforme sur la baisse des coûts de l’électricité pour les entreprises agro-industrielles./.
Malick Diagne
Membre du Mouvement des Cadres Patriotes (MONCAP)
Sociologue-consultant en développement